Regards croisés sur la biodiversité. Entretien avec Yann Toma ( Artiste Contemporain ) et Olga Mayoral ( scientifique au Jardin Botanique de Valence ).
Concernant le thème l’environnement et biodiversite de la Méditerranée, n'oublions pas le flora, les plantes!
Avez-vous vu lors du dernier Manifesta, l’installation artistique et le travail des artistes exposés dans le décor du jardin botanique? Il s’agissait de l'une des plus belles parties de l'ensemble du programme.
En un instant, vous quittez la civilisation pour vous retrouvez en pleine naturelle temps d’une balade, dans un véritable havre de paix et de détente où beauté du monde naturel croise calme et plénitude, à la rencontre des pensées et images artistiques exposés tout le long de votre parcours.
De nombreux jardins botaniques sont créés partout dans le monde, quel est leur rôle et qu'étudient-ils exactement?
Afin de mieux comprendre leur rôle, et aussi leur volonté d'interagir avec des artistes contemporains nous avons interrogé l’equipe scientifique du laboratoire du Jardin Bononique de Valence, où une exposition du projet Maritima est prévue.
1. Qu'est-ce que la Biodiversité?
La Biodiversité comprend toutes les choses vivant ensemble avec leurs caractéristiques, y compris les traits culturels qui caractérisent les populations vivantes sur Terre.
La Biodiversité que nous connaissons est le résultat d'un million d'années d'évolution.
La notion d'Interdépendance signifie que la perte de la Biodiversité est en général réalisée au détriment de la Biodiversité restante.
2. Pourquoi devons-nous préserver la Biodiversité?
Le bien-être de l'Homme (écologique, économique et culturel) passe par la préservation de la Biodiversité. Nous dépendons d'un grand nombre d'espèces animales et végétales utilisées dans de nombreux produits (alimentation, santé...). La Biodiversité joue un rôle important dans la culture et l'identité des différentes régions du globe.
3. Jardin botanique de Valence, qu'est-ce que c'est et que fait-il exactement pour préserver la biodiversité?
Au cours des trois derniers siècles, l'accélération des techniques d'expansion agricole ainsi que la révolution industrielle et l'urbanisation ont entraîné la réduction de la Biodiversité.
Le changement du climat pourrait conduire à la perte de plus de la moitié des plantes de certains écosystèmes européens.
Il devient de plus en plus important de protéger et de préserver la Biodiversité. Ayant une banque de graines dans notre laboratoire, nous les étudions et travaillons également sur la conservation des espèces a 2 principales méthodes :
1.In-situ: préserve les gènes, espèces et écosystemes dans leur environnement naturel grâce à la mise en place d'une législation qui classe des régions protégées et qui permet la régénération d'aires dégradées.
2.Ex-situ: c'est la conservation de la Biodiversité à l'extérieur des zones où les populations apparaissent naturellement soit au sein de jardins botaniques, soit dans des zoos ou des banques de graines.
Seriez-vous intéressé par établir un dialogue avec d'autres artistes contemporains ? Pourquoi ?
Olga Mayoral, Scientifique
Jardí Botànic de la Universitat de València
Le bien-être de l'Homme (écologique, économique et culturel) passe par la préservation de la Biodiversité. Nous dépendons d'un grand nombre d'espèces animales et végétales utilisées dans de nombreux produits (alimentation, santé...). La Biodiversité joue un rôle important dans la culture et l'identité des différentes régions du globe.
Que pensez-vous que les mesures de confinements puissent avoir un impact positif sur l'état de l'environnement ou bien cela est impossible dans un délai aussi court ?
Olga Mayoral, Scientifique
Jardí Botànic de la Universitat de València
Nous savons déjà que l'environnement bénéficie du confinement en terme de réduction de la pollution de l'air et de certains autres aspects. Bien sûr, si le confinement ne dure pas longtemps (comme nous l’espérons tous), ces améliorations seront temporaires, cependant nous auront appris qu’il est possible de réduire la pollution si nous le voulons vraiment.
D'un autre côté, nous constatons une augmentation considérable de l'utilisation de plastique et d'emballages, de masques, de gants en caoutchouc, etc., ce qui est parfaitement logique mais nécessitera une gestion particulière.
Une fois de plus, je pense que la terrible situation que nous vivons actuelle montre à quel point la dégradation de la biodiversité nuit à notre capacité de lutter contre les pandémies.
Nous avons été avertis à plusieurs reprises par des scientifiques que l'augmentation de la fréquence des épidémies etait liée au changement climatique et à la perte de biodiversité, mais nous en subissons maintenant les conséquences de manière très directe et dramatique.
Je suis optimiste quant aux leçons que nous apprenons et qui, je l'espère, nous permettront de prendre désormais des mesures plus sensées.
Installation, Yann Toma
Entretien entre Elena Posokhova, commissaire, fondatrice Maritima 01 projet & Yann Toma, Artist, Observateur à l’ONU et professeur docteur des universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il dirige l’équipe de recherche Art & Flux (Art, Diplomatie, Innovation).
Yann Toma, artiste Résident dans le cadre du projet Maritima. Nous parle de son projet spécialement réalisé pour l’exposition du Jardin Botanique de Valence ainsi que de ses nombreuses expériences artistiques et jardins botaniques.
E.P. : Quelle est votre opinion sur l'importance du dialogue entre scientifiques et artistes ?
Y.T. : Artiste-observateur en résidence permanente à l'ONU (New York) depuis 2007 - en résonance permanente avec ce qui ébranle ou bien unit la communauté mondiale -, après avoir réalisé plusieurs projets monumentaux mettant en relation autant les corps que des architectures emblématiques comme le Grand Palais, étant moi-même investi dans le monde scientifique depuis de nombreuses années en tant que directeur de recherche, il me semble que le milieu scientifique, tout comme le milieu artistique, ont autant à s’apporter l’un que l’autre. Reste à définir les territoires que nous pourrions considérer porteurs pour une telle rencontre. Car ce dialogue doit se situer sur un terrain d’émulation. Ainsi, ni l’art ni la science ne doivent apparaître comme prétextes à la création de formes sans charges. Dans le domaine de ce que l’Énergie Artistique (ÉA) pourrait représenter pour la science, on constate aujourd’hui que nous avons à notre portée une des clés de résolutions des problématiques du monde contemporain, que cette rencontre entre les deux domaines peut pleinement révéler. Dans les milieux tant botaniques que biologiques, qui m’intéressent particulièrement, j’essaye de mettre en relation le monde végétal et le monde des humains, notamment par la mise en place de zones de contact basées sur l’intelligence des plantes et la notion de magnétisme animal, une recherche artistique qui serait à même de révéler une matière invisible qui unie le monde du vivant. Ce qui Wilhem Reich nomme l’énergie d’orgone, une énergie commune dépourvue de masse.
E.P. : Pourquoi est-ce nécessaire ?
Y.T. : Il y a aujourd’hui nécessité à accélérer les liens entre les acteurs du monde du vivant. Tout d’abord parce que les méthodologies diffèrent et qu’elles gagnent à être conjuguées et comparées. On peut ainsi introduire de l’innovation dans les protocoles de travail et faire circuler le lien entre création et créativité. L’enjeu pour l’art, dans ce contexte, est peut-être de faire autant œuvre utile tout en conservant sa part de mystère et de lumière. Le défi pour la science est d’inscrire du sensible dans ce qui apparaît souvent processuel et enserré dans une logique validée par des spécialistes. Nous devons « phosphorer » et nous nourrir de notre rencontre.
E.P. : Votre projet actuel est lié aux jardins botaniques. Quelles questions avez-vous pour les scientifiques de laboratoire du jardin ?
Y.T. : Le changement climatique est l'enjeu majeur de notre époque et le moment est venu de faire quelque chose pour y remédier. Il est encore temps mais cela exigera un effort sans précédent de la part de tous les secteurs de la société. Dans ce contexte mondial très incertain, il me semble primordial de considérer que cette relation « art et science » doit se révéler comme un moteur d’innovation et de renouveau. L’idée qu’une action pour le climat par l'art s’établisse sur des terrains où la biodiversité est questionnée me semble fondamentale. Ainsi le jardin botanique est un milieu idéal pour cela. Une première question serait celle de savoir comment les scientifiques du jardin botanique de Valencia considèrent-ils aujourd’hui la volonté des artistes de se rapprocher de leurs activités scientifiques sur le terrain du jardin?
Actuellement, la communauté scientifique mondiale ainsi que de nombreux gouvernements et associations de conservation ont exprimé de sérieuses inquiétudes quant aux changements dans ce domaine biogéographique, notamment en mer Méditerranée. Etant donné que les scientifiques de El Botànic mènent des recherches sur la diversité végétale, la conservation d'espèces rares, endémiques ou menacées de la flore méditerranéenne et la conservation des habitats naturels, ces problèmes affectent-ils désormais l'équilibre du jardin botanique et leurs propres recherches ?
Tous les responsables environnementaux le disent, il semble primordial de sensibiliser l’opinion publique en questionnant notre relation à l’écosystème marin vivant et nourricier de la Méditerranée. Nous devons créer des solutions durables et saines pour notre environnement et surtout tenter d’éviter les catastrophes tragiques qui semblent s’annoncer pour la nature. Par ses activités éducatives et culturelles, le jardin de Valencia et ses scientifiques du jardin ont une grande expérience de la relation aux publics. Comment, d’après eux, le public pourrait-il contribuer à l’alimentation des recherches que mènent les scientifiques du jardin botanique sur la conservation ? Y ont-ils déjà pensé et ont-ils des expériences à échanger dans ce domaine ?
Une troisième question serait de se demander ce que les plantes ont à nous apprendre en terme d’organisation de notre espace de vie et de réflexion. Le travail quotidien des scientifiques dans le jardin botanique a-t-il modifié leur regard sur le monde, leurs modes de vie, leur lien à la notion de beau ? La vie au quotidien avec les plantes peut-elle nous amener à changer de paradigme ?
E.P. : Quel est le message de votre projet ?
Y.T. : Aussi ambivalent qu’imprévisible je m’interroge globalement et localement sur ce que la rencontre entre le concept d’Énergie Artistique (ÉA) au contact du Capitalocène, cette nouvelle ère industrielle qui a bouleversé tous les équilibres naturels de cette planète. Cette posture peut relever aujourd’hui d’une profonde réflexion sur notre devenir. Le Capitalocène incarne à lui-seul l’irréversible progression des industries et des phases d’épuisement successives qui nous fondent à douter du monde qui nous attend. « Désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que l’Anthropocène, le Capitalocène est un concept qui prend comme point de départ l'idée que le capitalisme est le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels. » (MALM, Fossil Capital : The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming). Ce concept de Capitalocène (imaginé par le sociologue Jason W. Moore) m’interpelle et me permet d’insister artistiquement sur les conséquences écologiques du capitalisme. Mais pour autant il ne me plonge pas dans un constat déceptif. Rebondissant sur un sentiment d’urgence ressenti profondément depuis plusieurs années, me menant à approfondir mes réflexions sur une écologie politique portée par l’art, ce qui m’a entraîné à réaliser récemment plusieurs marches en Italie, Roumanie ou bien à New York vêtu de manteaux végétaux, j’essaye de mettre en relation les rêves perdus de l’Arcadie avec notre possible devenir végétal. Toutes les recherches de conservation menées dans El Botànic participent de cette réflexion et peut, selon moi entrer en convergence avec une production et une diffusion de l’Énergie Artistique (ÉA).
E.P. : Quelle expression artistique comptez-vous créer ?
Y.T. : Mon projet, qui pourrait être intitulé « El Arca de Noé del Botànic » est lié à Méditerranée 2020 et s'inscrit dans une réflexion sur les pratiques participatives intergénérationnelles ainsi que sur l'intelligence des plantes. L'idée du projet est de transmettre l'énergie de la préciosité de notre écosystème et de l'incarner en habitant soi-même la nature, tout en la protégeant aux yeux de tous. Sur la base de ce que les jeunes générations humaines et végétales sur place me transmettront, je serai peut-être en mesure de rassembler une intelligence commune au cœur du Jardin botanique de Valencia. Pour cela, j’agirai en deux temps. Le premier sera une série d’entretiens avec les scientifiques du jardin (réalisation d’une publication retranscrivant ces rencontres). Le second temps sera une invitation aux scientifiques, puis au public à révéler l'énergie de la Méditerranée à travers la fabrication d’architectures et de manteaux végétaux partagés qui seront portés par la suite comme un emblème vivant et une révélation de la difficile question de la prise en charge par les humain du changement climatique. Ce processus sera suivi d'une marche rituelle au cœur de ville de Valencia, entre El Botànic et la côte méditerranéenne. Parallèlement, j’effectuerai un travail photographique sur les graines récoltées par les scientifiques et tenterai de découvrir qu’elle énergie artistique pourrait se trouver en elles à travers la mise en place d’une fable végétale.
E.P. : Quel projet aimeriez-vous mettre en œuvre en collaboration avec des scientifiques de l'Université de Valence à la résidence? (thématique, banque de graines, herbier).
Y.T. : Cette résidence se déroulera en plusieurs temps. Il s’agira dans un premier temps de situer mon activité dans le jardin, de récolter des ressources auprès des scientifiques puis de construire un terrain de rencontre avec le public. Dans le processus de travail, la rencontre avec les scientifiques du jardin permettra d’approfondir les potentialités de ma proposition, notamment autour d’entretiens et de la constitution d’une « banque de graines » à récolter et d’une étude sur les herbiers présents dans le jardin botanique.
Je vais également travailler à la constitution de manteaux végétaux issus du jardin et qui seront portés par le public. Nous assisterons ainsi à la création d’équipes et à l’émergence d’un engagement des jeunes et du public par un acte partagé, fort et symbolique. En une ou deux journées je compte mobiliser plusieurs générations de personnes qui participeront à un atelier collectif dont l'objectif sera la création de manteaux végétaux rituels ainsi que d’architectures éphémères en lien avec le devenir de la Méditerranée. Après la confection de leurs manteaux végétaux, les participants se joindront au public et entameront avec moi une procession à travers le jardin botanique. Puis ils marcheront du jardin botanique vers la ville de Valencia. Lorsque les manteaux végétaux arriveront sur la côte méditerranéenne, le public et les habitants les accueilleront. Les messages qu'ils viendront transmettre s’incarneront sont la forme de manteaux et pancartes dédiées à la nature et à la transformation des esprits pour améliorer immédiatement la situation climatique de cette partie de la côte méditerranéenne. Pour finir, les manteaux végétaux seront présentés dans un espace d'exposition spécialement conçu pour eux à l'intérieur du jardin botanique. Ils seront tous placés sur des présentoirs et serviront de lien avec la réalisation de schémas holistiques conçus dans des architectures dédiées. Parallèlement, une série de photographies sera présentée dans l'espace d'exposition. Basée sur l'herbier du jardin botanique, cette exposition mettra en perspective les plantes méditerranéennes menacées par le changement climatique. Dans ce cadre, les graines parleront à travers un protocole fictionnel mis en scène en Arche de Noé... Je souhaite leur donner la parole par l’action de grâce de l’Énergie Artistique (ÉA). Je pense que leurs « voix » mettront parfaitement en perspective les enjeux, les mots ou les phrases emblématiques d’une possible résurgence d’une MARE NOSTRUM en voie de guérison, ou bien elles nous parleront tout aussi bien de délitement de notre planète et du côté sombre du Capitalocène…
Installation, Yann Toma
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